Lettre émouvante du president GBAGBO aux obsèques de sa mère

L'EMOUVANTE LETTRE DU PRESIDENT GBAGBO LUE AUX OBSEQUES DE SA MERE

Absent aux obsèques de sa maman La lettre pathétique de Gbagbo aux ivoiriens

Pour mes amis Sangaré et Dacoury :
 Chers amis,
Je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir accepté d’organiser les funérailles de maman. J’en suis profondément touché. Puis-je vous demander  aussi de  prononcer en mon nom,  ces quelques mots :
Chers amis. C’est le cœur lourd que je voudrais quelques mots sur  ma mère, une femme  volontaire, un modèle de courage.  Bien qu’issue d’une famille modeste et elle-même illettrée, ma mère a tout de suite compris l’importance de l’école. Elle nous a poussés de toutes ses forces, ma sœur Jeannette et moi-même, ses deux seuls enfants que le sort  lui avait laissés, à apprendre à  comprendre et à aller aussi loin que possible. Je dois dire ici combien le rôle de mon père a été aussi  de ce point de vue important. Nos deux parents, à Jeannette et moi, partageaient  la même vision du monde,  les mêmes  espoirs pour leurs enfants, la même foi en l’avenir.  Mon père, comme vous le savez,  était un ancien combattant de la Seconde guerre mondiale et croyait en l’Education, aux efforts pour se réaliser.  En 1962, j’ai obtenu mon Bepc. C’était une réussite.  Et pour tous, un moment important.  De bonnes âmes ont  alors conseillé à ma mère de me convaincre de devenir instituteur, une fonction qui m’était désormais ouverte. Cela nous aurait permis, et d’abord à elle, de vivre mieux.  Son ambition était plus haute.  Elle a refusé  et leur a répondu haut et fort : «  Mon fils ira à l’école aussi que son intelligence le permettra  et moi je suis prête à  faire tous les travaux, même celui de bonne pour qu’il en soit ainsi ».
Son heure de gloire a sonné en  juin 1965 : en ce mois-là, cette année-là,  j’ai obtenu le deuxième baccalauréat  et ma sœur a obtenu son  Bepc.  Ma mère était fière, fière et heureuse. Cette réussite était  d’autant plus importante  pour nous que,  grâce au sésame qu’était le baccalauréat, je pouvais entrer à l’université. J’allais même bénéficier  d’une bourse de vingt-cinq mille francs par mois. J’ai tout de suite  aimé ce que j’étudiais et je me suis plongé  dans les textes afin  de découvrir l’intelligence  du monde. Parallèlement, nous nous organisions  pour pénétrer les mouvements  syndicaux afin de faire avancer la cause de la démocratie. D’ailleurs en mai 1969, nous avons déclenché avec nos amis représentant les lycées-dont Dacoury Tabley Philippe-Henri-un important  mouvement de grève : nous voulions la liberté. J’ai dit que nous étions  de famille pauvre. La « vieille », c’est ainsi  que je nommais affectueusement maman, travaillait. Mais, pour pouvoir nous  envoyer à l’école, ma sœur et moi, elle travaillait deux fois plus : chaque année,  elle faisait deux rizières  au lieu d’une,  une rizière pour les besoins de la maison et une rizière dont elle vendait  le produit aux commerçantes Dioulas, ce qui lui permettait d’acheter cahiers et habits  dans la ville voisine de Gagnoa.
Les livres nous étaient fournis  gratuitement par l’administration coloniale, à charge pour  chaque élève de  tous les restituer  et en bon état à la fin de l’année scolaire pour qu’ils servent à nos successeurs.  Ainsi, les enfants des riches et les enfants des pauvres  se trouvaient-ils à égalité. C’est ce modèle-là que j’ai voulu reproduire  et développer quand  je suis devenu Chef d’Etat et c’est en m’inspirant de ce que j’avais connu  que j’ai lancé  le mot d’ordre « Ecole gratuite pour tous », parce qu’il  est pour moi  évident que  les enfants de ce pays  doivent être  absolument égaux devant l’instruction. Quant à mon  père-dont maman avait divorcé en 1950 lorsque j’avais cinq ans- il était  devenu de retour de la guerre, agent de police. Je dois vous dire  que bien qu’issu de milieux  simples, ma mère  et mon père avaient  une conscience politique poussée : l’un et l’autre – ainsi que  tous les oncles maternels- étaient inscrits à la Sfio dont ils avaient pris la carte très jeunes. C’est aussi cette conscience politique qui  explique en quelle haute estime ils  ont tenu l’éducation.
Cher Sangaré,
Te rappelles-tu  que je te disais  que mon père  avait joué dans ma vie, un rôle de Chef d’Etat  et ma mère un rôle de Premier ministre ? Mon père et ma mère  avaient de hautes ambitions  pour moi. Mon père a toujours souhaité que j’aille le plus haut possible,   mais c’est ma mère  qui aura tout fait  en me donnant  par son amour, la force d’avancer et par son travail, les moyens d’avancer. Sans elle,  je n’aurais pas pu aller à l’école.
J’étais si fier, lorsque  à la Noël 1965,  j’ai pu donner à ma mère,  mes premières économies : je lui rendais un peu ce qu’elle m’avait donné. Dis lui, s’il te plaît, de reposer en paix. Dis lui de veiller sur moi, sur ma sœur,  sur nos enfants,  sur les enfants de mon père qu’elle a élevés,  sur tous les enfants de sa région et sur tous les enfants de Côte d’Ivoire.

Laurent Gbagbo.

(Source: LE TEMPS )

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