''Selon les lois internationales,Kone Katinan ne peux etre extradé...''



Le ministre Justin Koné Katinan "porteur d`une carte de réfugié du Bureau ghanéen des réfugiés, reconnu par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés" devra comparaître devant la justice ghanéenne pour dénouer la demande d’extradition formulée par les autorités ivoiriennes. Le dimanche 26 août 2012, un communiqué du Gouvernement avait indiqué que "le président John Dramani Mahama, conformément à la Constitution ghanéenne, a demandé au ministre de la Justice d`examiner la demande d`extradition et de lui fournir son avis". La Constitution prévoit en effet en son article 14 que l’extradition se fasse conformément à la loi, particulièrement celle relative à l’extradition de 2012, qui impose en son article 16 que « le procureur général et ministre de la Justice se prononce sur la demande d’extradition ».

L’article 28 de la convention d’extradition de la CEDEAO de 1994 prévoit aussi que la personne sollicitée a « le droit d’être entendu(e) par une autorité judiciaire et d’avoir recours à un avocat de son choix ».

Mais, vu d’Abidjan, le recours à une procédure judiciaire pour décider de la suite d’une demande d’extradition paraît surréaliste, puisque c’est par des procédures expéditives que les autorités ivoiriennes ont, jusqu’ici, réussi à faire exécuter des mandats d’arrêt internationaux. Le cas du ministre Lida Kouassi est patent. Arrêté au Togo puis extradé en l’espace d’une journée, il n’a pas eu droit à une juridiction pour se prononcer sur son sort ni même le droit de consulter son avocat. Me Joseph Koffigoh, ancien premier ministre togolais et Me Raphaêl Kpanté-Adzaré, Président de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme avaient à l’époque dénoncé cet « enlèvement », non respectueux des conventions internationales sur les réfugiés politiques et l’extradition.

Les hommes forts au pouvoir actuellement à Abidjan, nous ont tellement habitué au piétinement de la loi depuis leur avènement au pouvoir que la conformité à la loi leur donne des crises d’urticaire. Qu’il suffise de rappeler à ce propos que c’est sans aucun égard pour les lois en vigueur en Côte d’Ivoire, que Ouattara a transféré son prédécesseur Laurent Gbagbo à la Cour Pénale Internationale. C’est aussi en toute illégalité qu’il a séquestré puis fait poursuivre les proches de Laurent Gbagbo, encore en prison à ce jour, sous des chefs d’inculpation fantaisistes.

Les réfugiés politiques bénéficient d’une protection juridique solide
Aux antipodes de cette pratique, le Ghana semble donner des gages d’un respect scrupuleux de la loi. En constitutionnalisant la procédure d’extradition et le principe de non refoulement (articles 14 et 21), le Ghana montrait sa prédisposition à veiller à une bonne protection des droits des réfugiés. Par la suite, d’autres initiatives sont venues confirmer cette option. Notamment son adhésion à la plupart des instruments internationaux de protection des droits des réfugiés (notamment les convention de l’OUA de 1969 et de l’ONU de 1952 et 1967 relatives au statut des réfugiés, ainsi que la convention de la CEDEAO sur l’extradition ratifiée par le Ghana depuis le 29 juin 1995) et l’adoption au plan interne des lois sur les réfugiés en 1993 et sur l’extradition en 2012.

L’ensemble de ces textes offre une protection solide pour les réfugiés. C’est ainsi qu’un grand pouvoir d’appréciation est laissé aux Etats requis et que des garanties importantes sont prévues pour le traitement de l’individu. Les Etats peuvent notamment refuser l’extradition s’ils estiment que des conditions minimales de justice et d’équité ne sont pas réunies. Ou encore si l’individu qui est sollicité peut être soumis à des tortures et autres traitement inhumains et dégradants. De même l’extradition n’est pas accordée si elle est demandée pour une infraction considérée comme politique ou connexe à une telle infraction. La même règle s’applique s’il y a des raisons sérieuses de craindre que la demande d’extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations … d’opinion politique. « Le principe du non refoulement qui interdit le retour forcé de réfugiés vers un lieu où ils risquent de subir des persécutions est la pierre angulaire du régime de protection internationale des réfugiés ».

Sur la base de ce régime, tous les ingrédients sont réunis pour qu’aucun refugié ne soit remis à Ouattara. On sait ce qu’il est advenu des 41 suspects arrêtés au Libéria et extradés en Côte d’Ivoire, bien que jugés par la Cour d’assises libérienne et acquittés. Dès leur arrivée, ils ont été mis au secret et torturés à mort pour certains d’entre eux. Quant au ministre Lida Kouassi, extradé du Togo et accusé par le ministre de l’intérieur à l’occasion d’une émission télévisée d’« atteinte à la sûreté de l’Etat », on l’a vu dans une vidéo, vêtu des mêmes habits qu’il portait le jour de son arrestation, le visage tuméfié, faire des aveux manifestement extorqués concernant une tentative de déstabilisation du régime. Ces charges ne seront plus retenues contre lui, puisque, plus tard, le document de son transfert à la prison de Bouna indiquera qu’il est poursuivi pour « vol à main armée, pillages et détournement de deniers publics ».

Il ne fait donc aucun doute que le ministre Justin Katinan Koné est poursuivi pour ses opinions politiques en dépit d’un mandat d’arrêt émis à son encontre pour « crimes économiques ». Dans une Côte d’Ivoire transformée en « goulag à ciel ouvert », des traitements cruels et dégradants l’attendent certainement pour lui faire avouer sa supposée responsabilité dans les attaques perpétrées récemment. Et il sera certainement soumis à une justice aux ordres qui célèbre les vainqueurs.

Le Ghana est engagé dans la construction d’un Etat de droit
Refuser d’extrader le ministre Justin Koné Katinan serait donc conforme au droit. C’est d’ailleurs le lieu de rappeler les dispositions de l’article 2 de la Convention de l’OUA qui indiquent que « l'octroi du droit d'asile aux réfugiés constitue un acte pacifique et humanitaire et ne peut être considéré par aucun Etat comme un acte de nature inamicale ». Il n’est pas aussi inutile de faire observer aux dirigeants ivoiriens leur activisme étrange et inconséquent. Non liée au Ghana par aucune convention bilatérale d’extradition, la Côte d’Ivoire n’a pas encore ratifié la convention d’extradition de la CEDEAO pourtant signée depuis 1994.

Le Président Barak Obama l’avait dit à l’occasion de sa visite officielle à Accra : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts. Elle a besoin d’institutions fortes». Chaque jour qui passe, le Ghana donne la preuve qu’il est décidé à bâtir une nation forte autour de principes forts auxquels ses dirigeants et son peuple croient. Le demande d’extradition du ministre Justin Koné Katinan lui donne l’occasion de réaffirmer sa détermination à bâtir une démocratie qui fait une place à l’Etat de droit. Et pour le moment la solidité de ses institutions semble se renforcer à l’épreuve des évènements.

Le Ghana a déjà réussi deux alternances politiques en 2000 et en 2008. A la mort du Président Atta Mills, qui a accédé à la magistrature suprême à son troisième essai, il a fallu 6 petites heures pour que son successeur constitutionnel soit connu et accepté de tous. Le contraste est frappant avec le comportement de Ouattara en 1993 qui a disputé la succession avec le Président Bédié pourtant désigné par la Constitution pour succéder à Houphouët-Boigny qui venait de décéder, en faisant du dilatoire et en tentant un coup de force en complicité avec des militaires. Et en 2010, à sa première candidature autorisée exceptionnellement, il n’a pas hésité à recourir à une guerre pour dénouer le contentieux électoral, là où son adversaire proposait un « recomptage des voix », plongeant la Côte d’Ivoire dans une crise sans précédent.

De Kouakou Edmond
Docteur en droit, consultant
Propos retransmis par Fier Ivoirien via DEBOUT CIV

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